Les tristes vacances des grandes valeurs

La chronique d'Yves de Kerdrel du Figaro

En pleine léthargie estivale, le Journal du dimanche du 5 août dernier nous a livré son classement habituel des personnalités préférées des Français. Tristes trophées. Là où nos concitoyens avaient le loisir de laisser parler leur admiration pour de grandes personnalités morales, politiques, voire religieuses, ils ont placé sur la première marche de ce podium Yannick Noah, ex-champion de tennis, reconverti dans la chanson, connu aussi pour ses démêlés fiscaux. Ce qui lui vaut aujourd'hui d'être devenu l'icône de la «gauche caviar»! Autres lauréats de ce concours de popularité: l'acteur Omar Sy, vedette du film Intouchables, qui vient de décider de déménager en Californie ou le footballeur Zinédine Zidane, qui vit en Espagne.
La seule personnalité morale figurant dans ce classement est Simone Veil. A contrario, depuis la mort de l'abbé Pierre et de sœur Emmanuelle, la plus fidèle abonnée de ce palmarès est l'actrice Mimie Mathy, qui doit sa célébrité à son rôle principal dans la série Joséphine ange gardien, où elle incarne une sorte de fée Clochette moderne qui résout tous les problèmes de la vie quotidienne. Les Français seraient-ils devenus fatigués au point d'aduler une Mary Poppins des temps modernes plutôt qu'un philosophe, un écrivain, une personnalité politique incontestable? Ou bien faut-il chercher l'explication de ce choix dans la fameuse formule d'Henri Weber: «La vacance des grandes valeurs fait la valeur des grandes vacances» ?
Hélas, ce simplisme «franchouillard» semble bien ressembler à une triste exception. Le même sondage réalisé par Gallup aux États-Unis, il y a six mois à peine, plaçait parmi les dix personnalités préférées des Américains quatre figures politiques (Barack Obama, George Bush, Hillary Clinton et le républicain Newt Gingrich), trois personnalités religieuses (le révérend Graham, le pape Benoît XVI et le chef de file des mormons), mais surtout trois chefs d'entreprise, véritables stars de la création de richesse: l'investisseur Warren Buffett, le promoteur Donald Trump et Bill Gates, le fondateur de Microsoft.
Il est arrivé, par le passé, que des grandes figures politiques, religieuses ou intellectuelles fassent bonne figure dans le classement du journal dominical. Mais jamais des créateurs d'entreprise, des capitaines d'industrie ou des aventuriers du capitalisme n'ont été portés au pinacle de la popularité des Français. La détestation de nos concitoyens pour l'argent - si bien décrite par Luc Ferry dans sa chronique du 9 août - explique cette impressionnante dissymétrie entre les résultats d'un même sondage réalisé des deux côtés de l'Atlantique. Quoiqu'un Zidane ou un Noah gagnent autant d'euros qu'un patron du CAC 40! Non, si ne figure dans ce classement aucun héros de l'industrie française ou des services, comme Martin Bouygues, Pierre Bellon, Bernard Arnault, Vincent Bolloré ou François Pinault, c'est qu'en France la réussite est par nature suspecte. Elle ne suscite pas l'enthousiasme, le respect ou l'admiration, mais, au contraire, la méfiance, la suspicion, voire même une jalousie teintée de détestation.
Et ce ne sont pas les mesures fiscales à l'étude par le gouvernement socialiste qui vont permettre d'inverser la vapeur. Alors que 47 % des jeunes Français ayant entre 18 et 24 ans rêvent de créer leur entreprise, la nouvelle majorité s'apprête à couper les ailes du capital-investissement, qui est fait pour les aider. Ce secteur consiste en effet à appuyer 5 000 entreprises, dont une grande majorité de PME. Des gestionnaires avisés y placent les fonds d'investisseurs aisés et encaissent quelquefois une jolie plus-value, lors de la revente de ces participations. Cet «écosystème» qui ne demande rien à personne a permis de créer et de défendre des milliers d'emplois et surtout de faire éclore des talents de la nouvelle économie.
Mais les socialistes, qui avaient pourtant là une bonne occasion de cajoler ces nouveaux témoins de «l'audace créatrice», veulent à la fois étrangler les fonds d'investissement en les empêchant de s'endetter aussi facilement que par le passé, et en taxant plus fortement les plus-values qui les font vivre. Si bien que les 3.000 professionnels de ce secteur commencent à réfléchir à un déménagement vers des contrées moins hostiles à la création de richesses.
Voilà une nouvelle expression de ce mal français si justement décrit par Alain Peyrefitte dès 1976. Un mal fait par une poignée d'idéologues qui sapent ce qu'il reste de notre société de confiance, dans laquelle peuvent éclore et croître de belles entreprises, au profit de cette «société à irresponsabilité illimitée» qui conduit les Français à penser que leurs problèmes vont être résolus demain par une Mimie Mathy, claquant de ses deux doigts. À force de chasser les créateurs de richesses et donc d'emplois, il ne faudra pas s'étonner que le prochain classement des Français les plus populaires soit truffé de représentants de cette seule société du divertissement, chargés, tels de nouveaux pasteurs, de faire avancer nos concitoyens vers le bonheur et l'assistanat, tel un troupeau grégaire.