Editorial de Philippe Tesson dans le Point - Irresponsables ou démagogues ?

Budget, politique générale, le gouvernement Ayrault tâtonne. Au risque de précipiter la France dans l'abîme.

Jean-Marc Ayrault
Jean-Marc Ayrault© Lejeune / PhotoPQR / Le Parisien
La lecture du discours de politique générale du Premier ministre, mardi à l'Assemblée, est ahurissante. D'abord, l'épreuve est d'un ennui redoutable. Mais bon, on ne demande pas à Jean-Marc Ayrault d'être Bossuet, Chateaubriand et Jaurès réunis, l'époque n'est plus très exigeante et la culture parlementaire n'est plus ce qu'elle était. Un peu de lyrisme, d'éloquence, de charisme et d'écriture ne feraient toutefois pas de mal en une telle circonstance. Voilà pour la forme.
Mais le pire n'est pas là, il concerne le fond. Quel devait être, quel aurait dû être l'objet de cet exercice ? À l'évidence, de mobiliser et de rassembler les Français, dans le contexte de la crise dramatique que traverse le pays, autour d'une ambition collective et de l'énergie qu'exige sa réalisation, puis d'exposer les lignes essentielles de la politique que le gouvernement met en place pour assurer cette ambition. Au lieu de quoi le Premier ministre s'est enferré dans l'énumération greffière de ses propositions. Passe encore pour la partie de son discours relative au collectif budgétaire. Car là, il s'agissait de mesures concrètes, à effet immédiat, intéressant chacun de nous dans sa condition matérielle de contribuable. Ce n'était pas très agréable à entendre, mais il le fallait bien.

Un inventaire à la Prévert qui donne le tournis

Plus stupéfiante est la seconde partie de l'intervention, consacrée aux chantiers que s'apprête à ouvrir le gouvernement. À la lecture, leur inventaire à la Prévert donne le tournis. C'est un bric-à-brac non structuré et non hiérarchisé de projets multiples et divers, une brocante d'engagements qui vont du plus dérisoire au plus grave, qui s'appellent réformes, consultations, plans, mesures, conférences, créations, livres blancs, assises, lois et lois et lois... Toutes louables intentions dans la logique du nouveau pouvoir, mais affirmées dans un désordre qui laisse inquiet quant à la méthode employée et surtout dont le nombre impressionnant amène à se demander s'ils ne se "foutent" pas du monde pour utiliser le vocabulaire châtié de Moscovici. Et ils avaient le culot de dénoncer "l'agitation" de Sarkozy ! Et ledit Ayrault a le cynisme de déclarer que "les lois bâclées ne sont jamais appliquées". Ce qu'ils annoncent va bien au-delà d'une politique de réforme, c'est une véritable révolution, une révolution de nos codes, de nos systèmes, de nos structures et de nos moeurs. Le tout en cinq ans, sans un mot sur le coût de ce délire.

Pas assez d'argent pour boucler le budget

Or tout le problème est là. Peut-être leur projet est-il le bon. Et ils ont la légitimité pour l'accomplir puisqu'ils ont été élus grâce à l'appoint de voix inconscientes de gens comme François Bayrou qui les ont choisis tout en prévoyant avec lucidité qu'ils mèneraient la France à la catastrophe. Peut-être leur projet est-il le bon, mais à quel prix ? Et de quels moyens disposent-ils ? Il n'y a plus d'argent. Même plus assez d'argent pour boucler le budget. Leur tâche impérativement la plus urgente n'est-elle pas d'éviter la faillite ? Ils le savent si bien qu'ils vont taxer les entreprises au risque d'affaiblir encore leur compétitivité aux dépens de la croissance. Et les voilà qui promettent d'ouvrir sur tous les fronts des chantiers, comme si la réforme allait par miracle d'ici à la fin de 2013 produire des effets favorables à la croissance. Certes, ils ont cinq ans devant eux, mais ils n'ont que dix-huit mois pour réduire le déficit à 3 %.
Irresponsables ou démagogues ? Inconscients ou menteurs ?