François Hollande : coups de semonce

Les retards à l’allumage de l’action gouvernementale contraignent le chef de l’État à descendre dans l’arène. Pour démontrer qu’il a encore barre sur les événements...
Est-ce l’imminence de l’annonce du franchissement de la barre symbolique des 3 millions de chômeurs en France métropolitaine ? Les premiers coups de canif portés à sa promesse de « République exemplaire » par l’affaire Lazard ? Les tensions qui se multiplient dans sa majorité tandis que Jean-Luc Mélenchon sonne la charge contre le gouvernement ? Ou tout simplement la crainte de s’enliser avant même d’avoir commencé à avancer ? François Hollande, en tout cas, n’a pas eu besoin des mauvais sondages pour comprendre qu’il devait se « réveiller » comme l’y incitaient, un brin insolents, les hebdos de la semaine dernière…
Comme pour faire oublier des vacances estivales qui, à tort où à raison, suggéraient une vacance plus grave (celle du pouvoir), le président est revenu de plain-pied dans la politique nationale : lundi, il passait sa matinée dans un collège de Trappes (Yvelines) avec les enseignants effectuant leur prérentrée ; mardi, il était à Rome pour discuter avec le chef du gouvernement italien, Mario Monti, de la crise de l’euro ; mercredi, c’est le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, qu’il devait recevoir à Paris, juste après le Conseil des ministres. Avant d’assister, vendredi, à l’audience solennelle de la Cour des comptes – exercice obligé mais nullement anodin en cette période de déficits aigus – et de donner sa première interview de rentrée, ce dimanche, au 20 heures de TF1.
Si nous étions encore sous Nicolas Sarkozy, cette volonté d’être présent sur tous les fronts n’aurait alerté personne. Mais sous François Hollande, qui avait promis de restaurer l’ancien équilibre des pouvoirs – un président qui préside et un gouvernement qui gouverne, le premier fixant l’orientation et le rythme des réformes, le second gérant le quotidien, au gré des fluctuations médiatiques – , ce changement de pied est éloquent.
Il faudra plus que des dénégations pour convaincre
Il signifie d’abord que l’ampleur de la crise a eu raison de ses résolutions et, accessoirement, qu’il est plus difficile que prévu de “rompre avec la rupture” sarkozyenne. Il laisse aussi et surtout penser que le choix de Jean-Marc Ayrault pour incarner un premier ministre qui gouverne, à l’image d’un Laurent Fabius ou d’un Alain Juppé, n’était peut-être pas le bon. À quoi sert d’avoir reproché à Nicolas Sarkozy de traiter François Fillon en « collaborateur » si c’est pour lui trouver un successeur qui rechigne à servir de “fusible” ? Réputé bon maire de Nantes, le premier ministre doit maintenant prouver qu’il sait faire régner l’ordre dans sa majorité.
Et le pari, pour l’heure, est loin d’être gagné. Certes, Jean-Marc Ayrault s’est manifesté avec énergie pour mettre fin à la polémique déclenchée par le choix de la banque Lazard pour conseiller le gouvernement sur la création de la future Banque publique d’investissement, alors même que le principal dirigeant de Lazard, Matthieu Pigasse, est propriétaire de la revue les Inrockuptibles, qui emploie depuis peu la journaliste Audrey Pulvar, compagne du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg… Conflit d’intérêts ? Il faudra plus que des dénégations pour rendre claires les conditions d’un appel d’offres dont l’opacité suscite de légitimes interrogations. Le comble quand celles-ci portent sur le “Saint-Just” du gouvernement ! D’où la proposition de Nathalie Kosciusko-Morizet de mandater la commission des finances de l’Assemblée pour enquêter sur le fond du dossier. Une demande que le gouvernement peut difficilement refuser, sauf à prendre le risque d’ajouter le soupçon au soupçon.
Mais le plus grave n’est pas là : alors que, sur fond d’une montée ininterrompue du chômage, le gouvernement se voit reprocher par Jean-Luc Mélenchon d’offrir son « soutien » au Medef (lire page 44, l’article de David Victoroff), un autre sujet de démobilisation se profile pour la gauche : l’adoption, grâce au soutien de la droite, du texte le plus important du quinquennat – le traité budgétaire Merkel-Sarkozy, qui articule la politique économique de la France aux critères fixés par l’Union européenne. D’où l’insistance mise par Jean-Marc Ayrault à obtenir la discipline de l’ensemble de la majorité, l’essentiel pour lui n’étant pas de faire voter ce texte – qui le sera quoi qu’il arrive – mais de faire en sorte qu’il le soit sans rien devoir à l’UMP ! Un cap autrement plus difficile à négocier pour le maintien de son autorité que la passe d’armes picrocholine qui l’oppose aux sénateurs socialistes sur le non-cumul des mandats…
La querelle du traité budgétaire, de fait, n’est pas médiocre, et c’est bien pour cela que François Hollande entend éviter qu’elle mette le feu à la plaine : elle oppose ceux qui estiment dépassée la souveraineté budgétaire des États à ceux qui persistent à la considérer comme indissociable de l’exercice de la démocratie.
Et puis, comment expliquer aux électeurs de gauche que la règle d’or, autrement dit l’adoption d’une loi-cadre prévoyant le rythme du retour à l’équilibre budgétaire, est attentatoire à la démocratie quand la droite est au pouvoir – d’où le refus du PS de la voter quand Nicolas Sarkozy entendait la faire adopter ! – mais qu’elle devient bénéfique pour le pays quand la gauche est aux commandes ? Comme Nicolas Dupont-Aignan, à droite, Benoît Hamon, au gouvernement, et Marie-Noëlle Lienemann, au PS, sont logiques avec eux-mêmes : ils refusent de voter aujourd’hui ce qu’ils refusaient de voter, hier, dans des termes identiques.
Sans doute parce qu’elle n’est pas ministre, Mme Lienemann est celle qui va le plus loin chez les socialistes dans la fronde contre le gouvernement. À ceux qui, pour la faire fléchir, évoquent devant elle « l’intérêt supérieur » de la gauche, elle rétorque invariablement : « intérêt supérieur de la France »… Voici vingt ans, Philippe Séguin ne disait pas autre chose s’agissant du traité de Maastricht, quand on lui opposait l’intérêt de la droite. Et la droite ne s’est jamais vraiment remise de cette fracture historique qui, au-delà même du non au référendum de 2005, a nourri une partie du vote Le Pen, paradigmatique, à gauche, du vote Mélenchon… « L’intérêt supérieur de la France, dit aujourd’hui Mme Lienemann, c’est précisément de voter non. » Car voter oui « consoliderait non seulement la vision allemande de l’Europe, celle de l’austérité à tous les étages, mais aussi l’idée que se font les Allemands des Français : des gens qui aboient mais ne mordent pas ».
Et voici le chef de l’État en butte, dans son propre camp, au pire soupçon qui soit : une duplicité en politique intérieure n’ayant d’égal que son incapacité à exister sur la scène extérieure. Pour l’homme qui, voici quatre mois, s’identifiait à l’immédiateté du changement, il est de meilleurs départs pour s’inscrire dans l’Histoire… 
Éric Branca
Valeurs actuelles 6 septembre 2012