Tribune dans Valeurs actuelles

Stagiaires ou autistes ?

 
Même les esprits les plus lucides de ce gouvernement en conviennent : l’ensemble donne l’impression d’une bande de stagiaires à qui l’on aurait confié les manettes. Je crois qu’il s’agit du premier échec de François Hollande, qui s’est moins trompé de politique qu’il n’a négligé d’en préparer une et de s’assurer des concours nécessaires.
D’une certaine façon, la situation rappelle celle de 1981, quand François Mitterrand nomma Pierre Mauroy premier ministre. Ceux qui ont connu Matignon à cette époque se souviennent qu’il était complètement perdu. Mais les socialistes de 1981 avaient une politique. On serait tenté d’ajouter hélas, tant elle fut catastrophique. À part quelques grisgris inventés pour les besoins de la campagne présidentielle, leurs héritiers d’aujourd’hui n’en ont pas, et c’est tout aussi embêtant.
C’est peut-être réparable. Il a fallu deux ans à Mitterrand pour mettre la clé sous la porte et presque trois à changer de cap, mais le mal était fait et les débuts du premier septennat ont durablement pénalisé l’économie française. François Hollande pourrait se convertir plus vite. À la vérité, il y a une autre différence avec Mitterrand, c’est que Hollande n’a pas le choix. Mitterrand était encore libre de faire des bêtises, Hollande n’est libre de rien du tout. Il faut donc espérer qu’il trouve un habillage à un revirement qui devrait lui être d’autant plus facile, intellectuellement parlant, qu’il n’a sur l’économie aucune conviction. Excepté sa détestation de ce qu’il a appelé « la finance » et qu’on a traduit par « les riches ». Cette haine est difficile à expliquer. Je pense qu’elle vient de loin, de quelque chose qu’on lui a inculqué dans son enfance et qui était déjà perceptible quand il faisait l’Ena. Mais pour le reste, il est peu vraisemblable qu’il s’obstine à nier des réalités qu’en enfumeur de première – sa campagne électorale est là pour le prouver – il a fuies avec roublardise.
Tout le problème est de voir comment il s’y prendra. Son premier souci, en bon socialiste, c’est le parti, le deuxième, ses alliés, le troisième, ses adversaires. Il faut comprendre que tout, chez lui, est subordonné à cette équation à inconnues variables. Ça lui donne ce côté hésitant du type qui est sans cesse obligé de se garder à droite et de se garder à gauche en ignorant où il va. Conduire les sociaux-démocrates français vers des réformes auxquelles tous leurs congénères européens ont sacrifié depuis belle lurette, il est certain qu’il en est d’accord. Mais comme François Mitterrand toujours, il souffre d’une absence de certitude intime, de raisons personnellement réfléchies de s’y rallier. En 1983, il y avait à l’Élysée les “visiteurs du soir” qui faisaient le siège de Mitterrand en défendant l’une ou l’autre politique, et il s’en est fallu de peu qu’il ne choisisse la seconde, pire encore que la première, qui n’était déjà pas fameuse. Cette fois, on ne voit pas d’influence majeure autour de Hollande. Il n’y a guère de personnalités marquantes au gouvernement. Mais on ne sait pas tout. Derrière cette paresse apparente, il doit bien se passer quelque chose.
J’ai cherché à en savoir plus en interrogeant les partenaires européens du nouveau président français. Et je me suis rendu compte que s’ils s’étaient posé la question, elle leur est indifférente aujourd’hui. Partout, on avoue ne pas comprendre ce que cherchent les socialistes français. Au Secrétariat franco-allemand, où l’on est le plus attentif, chez David Cameron, où, en bon Anglais, on veut tout savoir à l’avance, chez Jean-Claude Juncker, qui préside l’Eurogroupe, je trouve la même réponse : les Français donnent bizarrement l’impression de faire leurs gammes et d’être aussi perdus quand ils demandent une réponse à Paris que quand on leur pose une question à Bruxelles, à Rome ou à Berlin.
Pour les Britanniques, c’est une heureuse surprise qui va permettre de diminuer l’influence française dans l’Union. Pour les Allemands, c’est déconcertant et angoissant. Pour les autres, ils s’en fichent. Comme le dit Mario Monti, les Français ont laissé le manche et personne ne le leur rendra. Cela explique sans doute que leur président soit si peu soucieux d’exercer ses prérogatives : il n’a pas dû s’en apercevoir.
 
Stéphane Denis